LA FUGUEUSE - DEGEMBRE Martine et SIMONS Andrée le 23 /4/09
Elle se dit que ce temps qu’elle s’était octroyée, était peut-être un cadeau….
Elle avait revêtu une robe très courte ! Elle leva les yeux vers la voûte du ciel. Les moutons gris s’amoncelaient dans le ciel de plus en plus noir.
Un papier glissé entre les plis de sa robe fleurie, Noémie se croyait à l’abri des regards, cachée sous son ombrelle qui aujourd’hui lui servirait peut-être de parapluie.
Pauvre Noémie, assise sur le tronc d’un chêne, se croyant à l’abri des gens, du temps, de tout !
Elle pensait à son homme qui lui avait fait parvenir ce message. Message, qu’elle n’osait pas ouvrir sachant d’avance ce que l’écriture de l’homme lui disait.
Cet homme qu’elle aimait plus que tout, plus que son enfant ! Il travaillait sans relâche sur ses champs toute la semaine, ne ménageant pas sa peine, suant et souffrant autant que ses ouvriers.
Au fond du jardin deux glaneurs étaient écroulés de fatigue, le vin aidant, leur sommeil était si lourd qu’ils ne réagirent même pas aux cris inhumains qui surgissaient au plus profond de la nuit !
Le samedi soir, enfin il s’adonnait à sa manie. Noémie, ma mère, pleine d’angoisse acceptant de moins en moins la situation et chaque semaine la même scène se reproduisait au centre de l’unique pièce qui servait à tout.
J’écoutais mes parents se disputer, enfermée dans ma solitude d’enfant unique, j’avais l’œil expert pour déceler les signes avant coureurs de la crise sur le visage de ma mère.
Je me réfugiais alors dans le recoin de la cheminée, mon refuge, mon paradis.
Là, la solitude rassurante de la flambée m’entraînait dans le rêve, échappant ainsi aux cris de ma mère, aux injures de mon père.
Le comble de l’horreur pour moi, petite fille de dix ans, leur unique enfant qui revivait chaque semaine ce cauchemar éveillé, me sentant à chaque fois de plus en plus impuissante. L’amour que j’avais pour ma mère, n’avait d’égal que celui que j’éprouvais pour mon père.
Je tremblais pour les deux, cela pouvait durer longtemps, je restais dans
mon recoin passant du sourire aux larmes en fonction de mon rêve ou de la réalité.
Martine
*************************************
Le summum de l’horreur de sa manie, c’était d’attacher les mains de ma mère avec une corde suspendue aux poutres, qui traversaient la pièce. Ensuite il décrochait le martinet accroché au dessus de la cheminée et plein de colère il se mit à la battre, avec une telle violence que sa cruauté ne s’arrêtait que lorsqu’il voyait le sang couler !
Oui, moi qui aimait éperdument mes parents, je ne pouvais pas comprendre, je restais pétrifiée, médusée.
Mon père continuait de la battre jusqu’à ce qu’elle le suppliait de cesser. Il avait pris pour habitude de lui laisser le message le matin même, pour décrire le déroulement de son horrible mise en scène.
Toujours de la même manière, tel un numéro savamment réfléchi, selon un rituel mûrement ancré dans sa tête.
Ensuite en rentrant, après avoir bu deux, voir jusqu’à cinq verres de vin avec les glaneurs, il cherchait à l’avilir.
La viande pas assez cuite, pas assez de sel dans la soupe… il s’emportait et les coups pleuvaient, qui avec le temps devenaient de plus en plus violents !
Moi, tapi dans mon recoin, du haut de mon mètre vingt ; il n’entendit même pas mes cris de peurs. Les flammes du feu tels des pantins dansants, traversaient le brouillard de mes larmes pour venir rendre mes yeux plus brûlants encore !
Lorsqu’au petit matin, après des heures de tortures, les cris se taisaient enfin, je regardais les cendres finir de se consumer, encore quelques petites braises au sein de la cheminée, je me levais, secouais mes membres engourdis et sortais prendre l’air frais de l’aube naissante.
J’avais le pressentiment qu’un jour tout cela finirait mal, très mal, je me sentais tellement impuissante.
Le dire à qui ? Hurler ? Qui viendrait ? Les glaneurs saouls ? Nous habitions à trois kilomètres de la ferme la plus proche !
Après avoir respiré l’air frais, je me jurais de trouver une issue à ces horribles scènes. Je rentrais sur la pointe des pieds…tout était calme. Mon père et ma mère dormaient encore sans aucun doute !
Dans l’espoir que la journée serait calme…, je décidais de remettre du petit bois sur les dernières braises de la nuit. Le feu reprit ! Je pus remettre des bûches. Je décrochais la grosse bouilloire de sa crémaillère, je réussis à la remplir d’eau pour faire le café.
J’eus beaucoup de mal à la raccrocher ! Les flammes se mirent à flamboyer, quand tout à coup j’entendis des pas à l’étage. Ca y est ! Mes parents étaient réveillés. Ma mère descendit la première, suivie de mon père.
Elle m’embrassa et me souffla à l’oreille « ne dis rien, il est calme ce matin ». Mon père à son tour m’embrassa comme si jamais rien ne s’était passé, la veille !
Je n’osais pas regarder le visage tuméfié de ma mère, ses lèvres gonflées, le lobe de l’oreille droite suintait encore de sang que j’en eus un haut le cœur, mais j’étais impuissante et tétanisée !
J’avais commencé à moudre le café, mon père m’arracha le moulin des mains, je restais sans réaction, peut-être avais-je peur, j’en suis certaine, j’avais eu très peur !
Pendant ce temps ma mère s’activait à la préparation du petit déjeuner.
Nous nous mîmes à table. Silence insupportable ! Je n’entendis que les bruits de mastication des croûtes du pain. Ma mère semblait avoir de réelles difficultés pour manger.
C’était bien la première fois que je la vis tremper son pain dans son café au lait !
Sa douleur était perceptible, mon père ne pipa mot !
Le déjeuner terminé, j’aidai ma mère à ranger et tentais de m’approcher d’elle à l’insu de mon père…allions-nous aller chez grand-mère aujourd’hui, comme les autres dimanches?
J’avais des doutes, je pensais que cette fois mon père devrait s’expliquer avec grand-mère. Je n’osais bien sûr pas demander si nous allions aller lui rendre visite !
Cette incertitude me taraudait les tripes, il fallait trouver comment quitter cet enfer ! Comment faire pour que tout ça cesse ? J’appréhendais déjà le samedi suivant !
Ma mère se mit à préparer le dîner et là je compris que nous n’irions pas chez grand-mère. Je crois que j’aurais répondu à toutes ses questions, à tous ses doutes !
J’allais savamment préparer mon évasion, ma fugue, pour le samedi suivant qui à mes yeux serait le dernier pour moi et peut-être pour ma mère !
Dès que mon père aurait attaché les mains de ma mère aux cordes, dès son premier cri je m’enfuirais. J’avais trouvé, plutôt dérobé quelques pièces dans la vieille boîte à biscuits LU.
Il faillait impérativement que je puisse prendre le dernier train de passage.
Je suis sortie de la maison sur la pointe des pieds, en faisant le moins de bruit possible, j’eus la chance d’attraper ce train sans me retourner en me jurant : je ne reviendrai jamais ici !
Lors de ce voyage, je me laissais bercer par les secousses des rails et m’endormis enfin, mouillant de larmes les coussins rouges des sièges inoccupés.
Je fus réveillée par le bruit de la porte à glissière que le contrôleur avait ouverte. Silence complet, j’eus très peur. Je me laissais doucement glisser sous la banquette. En glissant sur le côté, je pus voir l’agent qui semblait hésiter, il se retourna et referma la porte !
Sauvée !
Il ne s’agissait plus de me rendormir ! Regardant à travers la vitre, il faisait nuit noire. Ma seule crainte, que quelqu’un monte dans le train. Qu’il ou elle me demande ce qu’une si petite fille seule, faisait dans ce train à cette heure ?
A l’arrêt précédent j’avais vu vingt trois heures vingt sur la grosse horloge de la gare ! Je connaissais le trajet par cœur ! Encore deux arrêts et je serais sauve !
Tous les dimanches, nous prenions ce train pour aller rendre visite à ma grand-mère…c’est chez elle que j’avais décidé d’aller me réfugier. Au fil du temps, de dimanche en dimanche, elle était de plus en plus inquiète pour ma mère, elle posait de plus en plus de questions ! A chaque fois elle répondait qu’elle était tombée, qu’elle s’était cognée…
Un de ces dimanche, grand-mère m’envoya chercher les œufs dans le poulailler, elle m’accompagna pour pouvoir me poser des questions à propos de ma mère !
Pas de chance, mon père surgit de nulle part…un regard si noir, que je pris peur que je n’eus jamais pu répondre !
Grand-mère se doutait de choses pas normales du tout…pendant ce voyage…je repensais à tous ces détails et je me jurais cette fois de tout lui raconter.
Encore un arrêt ! Aucun passager ! Je sentais et savais déjà que ma grand-mère ne me gronderait pas d’avoir quitté la maison seule. A rêvasser je crus un instant que j’allais me rendormir…je me mis à aller et retour d’un côté à l’autre du wagon …
Me voilà enfin arrivée ! Le train s’arrêta, je regardais à gauche, à droite….
Je descendis du plus vite que je pus…le contrôleur passant sa tête par la vitre
s’écria :
« Eh petite, où vas-tu à cette heure ? »
Je pris mes jambes à mon cou, je courais du plus vite que je pouvais…
Essoufflée je m’arrêtais un bref instant derrière une porte cochère…tapie, j’entendis enfin le train repartir ! Je tremblais de peur…j’avais envie de pleurer, mais je n’étais pas encore arrivée !
Je n’avais qu’une hâte… être dans les bras de grand-mère !
D’habitude le dimanche, il y avait des autocars devant la gare, il n’y en avait aucun ! J’étais trop petite pour savoir qu’à cette heure il n’y en avait plus aucun !
Je voyais au loin sur la grande horloge de la gare qui indiquait minuit dix !
La peur à nouveau me gagna, pas une âme qui vive…à perte de vue ! J’avoue que j’avais très peur, mais je devais absolument arriver chez grand-mère ! Mes larmes se mirent encore à couler sur mes joues !
Comme chaque samedi, j’étais certaine que mes parents ne me chercheraient pas après leurs scènes d’horreurs…je marchais presque en chantant pour me donner du courage…dans la nuit noire mais tiède !
Ma grand-mère n’avait pas le téléphone, quand ma mère voulait l’appeler elle téléphonait à sa voisine, Léonie, qui venait la chercher pour répondre. De toute manière, moi je ne connaissais pas ce numéro. Il fallut que je me donne du courage pour arriver !
Arrivée au coin de sa rue, je me mis à courir, je riais et pleurais à la fois…j’étais presque là….quel soulagement !
Toute à ma joie, j’avais oublié que grand-mère était sourde, que pour dormir elle enlevait ses appareils et donc…j’avais beau frapper…encore et encore…rien n’y fit…la porte resta close.
Agile, souple et délurée, je pense me rappeler que je me suis calmée. Je fis le tour de la maison et là, je me suis souvenu de la cachette où se trouvait la clef de l’arrière cuisine.
Sauvée ! Elle était toujours à la même place. Je rentrais délicatement sans faire de bruit.
J’ai ressenti aussitôt une immense paix m’envahir, j’avais osé, j’étais bien arrivée !
J’aurais pu aller directement me coucher dans le lit de jeune fille de ma mère, mais j’avais eu tellement peur qu’à présent mon estomac cria famine !
Je me dirigeais vers le garde-manger et trouvais un bout de fromage et un saucisson pendu à son fil. Fatiguée et repue, je suis tombée endormi dans le fauteuil de grand-mère.
Je ne savais plus où j’étais quand grand-mère m’a trouvée au petit matin.
-Mathilde, ma chérie, que fais-tu ici ? –
– Comment es-tu venue ?
- Depuis quand es-tu là ?
- Que fais-tu ici de si bon matin ?
J’eus du mal à me réveiller, je ne savais plus ce que je faisais là !
Elle m’a prise dans ses bras…je m’y suis blottie….et tout doucement je me suis mise à sangloter à chaudes larmes, je suffoquais…si fort…j’avais perdu la parole…seul le bruit de ma douleur sortait de ma poitrine.
J’avais tant de choses à lui raconter…j’étais muette de paroles…je voulais la rassurer d’abord…aucun mot ne sortait…elle semblait tellement bouleversée…elle pensait qu’il s’était passé quelque chose de grave à la maison.
Je continuais à sangloter, doucement elle me berçait et je me rendormis !
A mon réveil, grand-mère avait déjà préparé le dîner, ça sentait bon le bouillon….Moi toujours muette, elle ne savait toujours pas ce que je faisais là !
Toc, toc! On frappa à la porte ; C’était sa voisine !
Léonie dit : J’ai ta fille au téléphone, la petite a disparu !
J’eus tout juste le temps de me cacher derrière le fauteuil dans lequel je m’étais rendormi, quand je l’entendis répondre :
- Dis-lui qu’elle n’est pas chez moi !
Dès cet instant, j’avais compris qu’il était temps de me mettre à parler. Ma grand-mère m’a reprise sur ses genoux, me rassurant que rien de mal ne pourrait m’arriver et qu’il fallait lui dire toute la vérité. Je répondis à toutes ses questions.
Le soir même, je l’ai accompagnée chez la voisine et elle lui à dit : Si Noémie appelle : dis lui que Mathilde est ici, mais il faut d’abord qu’elle vienne seule, à la maison.
Le lendemain midi, un taxi s’arrêta devant la maison, nous étions en train de dîner avec grand-mère et Léonie. Perplexes, nous avons vu sortir ma mère et le chauffeur du taxi. Ensemble, ils ont sortis une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit valises du coffre et des portières!
Je me suis posé des questions et très vite, je me suis rendu compte que nous allions rester définitivement chez grand-mère !
Nous, nous sommes étreintes toutes les trois très longuement dans les bras, il est vrai que nous avions eu très peur…ma mère et grand-mère ont continués à discuter calmement, moi je suis allée jouer chez Léonie avec son petit-fils.
A mon retour, ma mère m’informa qu’elle avait quitté mon père. Elle m’a surtout félicité pour mon courage d’être venue chez grand-mère. Je ne comprenais pas !
C’est bien des années plus tard que ma grand-mère m’a avoué, que ma fugue avait sauvé la vie de ma mère !
Ma mère et moi sommes restées vivre avec grand-mère jusqu’à son grand départ. Ma mère n’a jamais refait sa vie.
Je viens de terminer mes études de vétérinaire et j’ai décidé de rester au village et dans la maison de grand-mère !
Vous vous demandez sans doute ce qu’est devenu mon père ? Je lui ai rendu régulièrement visite en prison…depuis sa sortie il n’est plus le même, il se soigne !
Andrée
***********************