Bohême… un dimanche d’avril… Annick VEYS

Publié le par Annick VEYS

Que se passe-t-il ?

Le jour n’est pas encore levé et déjà du remue-ménage dans la cour.

Le grincement de la grille d’entrée (faible, mais je le reconnais bien), des pas sur les pavés, le lampadaire allumé et maintenant le loquet de ma porte que l’on vient de tirer…

Que se passe-t-il donc ?

Et voilà que déjà on me sort, on me brosse.

Pourtant, la nuit n’est pas terminée ; je dormirais bien encore un peu, moi.

Qu’ont-ils donc à venir si tôt ?

Ca y est, je me souviens ; durant la semaine, je les ai entendus parler de sortie, de concours, de trousses à vérifier, de matériel à emporter, surtout ne rien oublier, mettre tous les atouts de son côté. C’est que le concours qui ouvre  la saison est toujours programmé le premier dimanche d’avril. Et comme l’an dernier, c’est moi qui vais prendre le départ, c’est moi qui vais tracter la voiture, moi qui vais les emmener là où ils me guideront…

Mais au fait, savez-vous qui je suis ?

Avant de continuer, faudrait peut-être que je me présente, que vous sachiez qui vous parle…

Bohême, c’est le nom qui m’a été donné à la naissance, là-bas, en France, tout en bas, dans les Pyrénées.

Je suis une jument Mérens.

Robe noire, taille moyenne, dos large, croupe ronde, poitrail bien ouvert, pieds sûrs, tête expressive, yeux vifs, crins abondants, drus et rêches, je suis aussi rustique, docile, gentille, généreuse. Jument polyvalente, je peux être montée, en randonnée ou en manège, attelée, ou laissée en pâture… à condition de ne pas m’y oublier…  car, oui, j’ai besoin de travailler…

Mais, ce que je préfère et ce pourquoi ils me préparent ce matin, c’est les sorties en attelage…

Le pas sûr, fière allure, je tire la voiture à quatre roues et j’emmène, dans mon sillage, ce trio infernal, impétueux et gai qui n’a qu’une idée en tête : passer une bonne journée, au grand air, et s’amuser même si pièges et calculs d’azimuts figurent au programme.

Mais nous n’en sommes pas encore là ; revenons plutôt aux soins qu’ils me donnent avant le départ.

Car, oui, c’est bien cela, nous allons prendre la route pour Avesnes-le-Sec, où a lieu un concours d’attelage, et plus précisément un TREC attelé. Suivez bien mon histoire et vous comprendrez très vite de quoi il s’agit.

Une chose à la fois.

Pour le moment, ils me bichonnent.

Ils ?… le trio infernal, bien sûr. Mais encore ?

Tout simplement, un meneur, un navigateur et un groom. C’est que j’aime la compagnie… et ne dit-on pas que plus on est de fous, plus on rit… pas toujours vrai, il y a parfois des « coups de gueule »… mais ça ne dure jamais…

Pour le moment, ils sont aux petits soins : pendant que je me régale avec une bonne tranche de foin (surtout ne pas oublier d’en remplir un ou deux filets pour là-bas), AL (meneur), JC (navigateur) et F (groom) me brossent, curent mes sabots, me mettent quelques protections pour le voyage en camion. Et, docile, j’embarque. On m’attache. Normal. Mais ils ont pris soin de laisser un peu de mou, et surtout d’accrocher un des fameux filets… Pendant le trajet, je vais pouvoir continuer mon petit déjeuner. S’ils veulent que je prenne le départ, il faut faire en sorte que je sois en condition…

Hier soir, ils avaient pris soin d’installer, dans le camion, la voiture d’attelage, le harnais, et le reste de l’équipement, sans oublier des vêtements chauds (pensez donc, l’an dernier, nous sommes revenus sous la neige…), mais aussi quelques douceurs (café, eau, biscuits, fruits… de quoi, pour eux aussi, tenir le coup toute une journée).

Maintenant que je suis installée, bien calée, portes bien fermées, c’est à eux de prendre place et on va pouvoir prendre la route. Déjà le moteur tourne (JC a tout vérifié dans la semaine) et le camion avance lentement. Attention ! quelques pavés au départ, puis le macadam, mais pas question de s’élancer trop vite, il y a quelques virages puis la voie ferrée à traverser. Une fois sur l’autoroute, le camion pourra prendre sa vitesse de croisière… et je sais que je ne crains rien, JC est prudent et il me surveille ; coup d’œil furtif à l’écran qui est à ses côtés et, bien sûr, relié à la caméra posée à l’intérieur du camion.

Et c’est, bien tranquille, que je me laisse emporter, que je profite de ces derniers instants de repos… Vous vous en doutez, qui dit concours, dit engagement de soi… Faudra donc que j’y mette toute la gomme.

La prudence est de rigueur car, en quittant la cour pour monter dans le camion, il m’a bien semblé apercevoir le brouillard. Pas facile de rouler quand on ne voit pas grand-chose. Mais je connais JC, il prendra le temps qu’il faut pour arriver à bon port sans problème.

Tiens, il se pourrait bien que l’on quitte l’autoroute ; les bruits sont différents, bien moins de circulation, et on roule un peu moins vite.

A la façon dont le camion ralentit et tourne, je pense bien que nous arrivons à destination.

Quelques manœuvres pour installer le camion le mieux possible, facile d’accès, mais aussi pouvoir en descendre sans difficulté. Faire aussi en sorte que nous puissions quitter les lieux facilement en fin de journée.

Moteur coupé ; c’est bon, on est installé.

Les portes s’ouvrent, on me détache, on me flatte, on me caresse, et, comme une grande, je descends le ponton et fais quelques pas, histoire de me dégourdir les jambes (oui, les jambes ; un cheval a des jambes… vous avez bien lu…)

Et c’est maintenant que tout commence…

Avant tout, passer au bureau et s’inscrire. Ne pas oublier mes papiers (description de la bête, carnet de vaccination) ni ceux de mes acolytes (carte d’identité, licence).

Et voilà, c’est chose faite ; nous partirons avec le dossard « 12 »…

Où partons-nous, me direz-vous ?

Une fois que je serai prête, c’est-à-dire bien brossée, habillée du harnais et mise à la voiture, l’équipage se rendra à la Vérification de Sécurité. Impossible de prendre le départ de la compétition si je ne suis pas en état, idem pour la voiture et le harnais, ainsi que pour le matériel recommandé.

Et c’est une première note qui est donnée, sur 40. Bravo, ils ont obtenu un 39. Le point manquant ?… rien d’important, on en reparlera plus tard…

Mais, pour partir, il faut une carte, et un tracé.

C’est maintenant à JC de se mettre à l’ouvrage. Il aura 15 minutes pour recopier le tracé officiel sur une carte vierge. Facile, me direz-vous ? Pas tant que ça… il faut tout noter, surtout les pièges que l’organisateur-traceur n’a pas manqué de mettre sur le parcours… il faut aussi mesurer le parcours, et bien noter l’heure officielle de même que la vitesse indiquée pour le premier tronçon… il faut surtout lire la feuille d’instructions jusqu’au bout, certains points pouvant être importants dès le départ…

Attention ! Temps réglementaire terminé, il faut quitter la salle des cartes et se mettre en route. Vérification, dernier calcul et on grimpe sur la voiture. En route, Bohême !

On démarre en douceur, à 7 km/h. Vitesse à respecter car le temps imparti a été calculé et toute différence, en moins ou en plus, se verra pénalisée d’un point par minute.

On quitte le terrain de base et nous voici dans le village.

Surtout bien suivre le tracé et ne passer sur aucun détail.

Ici, un cours d’eau ; là, une église ; ou encore un carrefour, une voie ferrée, une route nationale, un chemin, une prairie, un bois…

J’avance d’un pas sûr, réagissant à la moindre demande d’AL qui a pris les guides.

On quitte le village pour un chemin pierreux mais carrossable, puis viennent quelques ornières. Accrochez-vous !...suivies d’un tronçon herbeux. C’est que le brouillard ne s’est pas vraiment dissipé, il faut bien regarder où l’on met les pieds.

Premier contrôle en vue. On s’arrête et on souffle 5 minutes.

On présente la feuille de route, où sont notées heures d’arrivée et de départ, sans oublier la mention « ok » ou « mauvais chemin »… ce qui nous vaudrait une pénalité de 30 points. Ouf ! rassurés… c’est un ok qui est indiqué.

Dans quelques minutes, on pourra continuer, mais, cette fois, à la vitesse de 10 km/h. Vite, on change de répertoire pour pouvoir combiner vitesse et distance sur la carte.

Top départ. Il me faut trotter si on veut respecter la vitesse imposée.

Soudain, JC est perplexe. A la lecture des instructions, il semblerait qu’un piège se prépare. Surtout ne pas tomber dans les mailles du filet.

On respire un grand coup, on garde son calme. On relit attentivement et on se penche sur la carte. On mesure la distance indiquée en comptant les tours de roue (rassurez-vous, il ne s’agit que de 50 mètres…) et on tourne non pas à la première rue à gauche, mais bien à la deuxième pour arriver à l’église. Le piège ? À la première rue, un panneau indiquait la direction de l’église… et, bien sûr, c’est un deuxième contrôle qui nous y attend…et, alors, 30 points de pénalité pour tracé non respecté… Ce serait dommage.

Piège déjoué.

De nouveau 5 minutes d’arrêt.

On prend note de la prochaine vitesse, 9 km/h. On revoit le tracé, on prépare la boussole car il y a des calculs aux azimuts… Il faudra à nouveau compter les tours de roue…. Des petites distances à chaque fois… mais beaucoup de précision dans les calculs, les rues et chemins ne manquent pas, il ne s’agit pas de prendre l’un plutôt qu’un autre…

Et la balade continue.

Le brouillard se lève, le soleil commence à poindre sous la brume. Ca risque de chauffer après-midi… Mais, pour le moment, on attaque une montée et on va bientôt se retrouver en pleine campagne. Bien jolie, d’ailleurs… 

Petite hésitation sur la voiture : prendre le chemin à 45°… mais où sommes-nous exactement ?… plusieurs possibilités… faut prendre le bon chemin… Il semblerait que celui de droite… on y va… et c’est, un peu plus tard, en arrivant au contrôle suivant que l’on comprendra qu’il fallait prendre celui en face… oui… mauvais chemin… 30 points de pénalité… 

Ne perdons pas courage ni bonne humeur…

Petite pause, vérification du prochain tronçon… semble facile… mais ne jamais baisser la garde, rester concentré.

Et cette fois on repart à 7,5 km/h.

D’après les calculs, les km déjà avalés, on ne doit plus être loin de l’arrivée ; ce qui ne veut pas dire que tout est gagné.

On traverse la grand route, on continue sur un beau chemin herbeux, on contourne un petit bois, on contourne un hameau et on peut apercevoir le parking et la prairie où les camions ont pris place ce matin. L’arrivée est à portée de main…. Oui, oui, dernier contrôle en vue. Youpi i… Il y a environ 3 heures que nous sommes partis…

On remet la feuille de route au juge qui transmettra au secrétariat après avoir complété les dernières informations.

On se dirige vers le camion où je serai dételée, déshabillée, bouchonnée, abreuvée, nourrie et laissée au soleil pour sécher (c’est que j’ai transpiré, moi…) et me reposer en attendant l’épreuve de l’après-midi. Seau d’eau et filet de foin sont mis à ma disposition… Je peux vous dire que je me régale… et le soleil qui me caresse la croupe et le dos… non, je ne donnerai ma place à personne.

Pendant ce temps, les gais lurons sont partis, eux aussi, casser la croûte. Une délicieuse odeur de barbecue… saucisses, merguez, tranches de lard… leur seront servies avec morceau de baguette et frites, sans oublier un peu de moutarde, de mayonnaise ou de ketchup pour les amateurs… Le grand air donne faim… il faut les voir déguster tout cela… ça fait plaisir à voir…

Bien sûr, commentaires sur le parcours, et questions … temps respectés ? un point par minute, ça peut faire grimper l’addition…et compromettre le classement.

Mais, ce qui est fait est fait, on ne peut rien y changer. Faut rester concentrés et se préparer à l’épreuve de l’après-midi, le parcours en terrain varié, soit une série de 16 difficultés réparties sur une distance de 1,5 km environ. Là, ce qui compte, c’est l’allure choisie (et maintenue) sur chaque obstacle, ce qui déterminera les points accordés. 10 pour le galop, 7 pour le trot et 4 pour le pas. Une rupture d’allure sera pénalisée de 3 points. Toutefois, deux obstacles doivent obligatoirement être passés au pas, le gué et la passerelle.

Avant tout, repérer le parcours, bien noter la succession des difficultés, les passer dans l’ordre indiqué.

Compte tenu de leur disposition, voir aussi si le galop est possible ou s’il vaut mieux assurer et rester au trot… That is the question !…

Tous les attelages sont rentrés de la balade du matin.

Tous les équipages ont pu manger, se reposer un peu.

On va pouvoir reprendre la compétition.

Les attelages, toujours dans l’ordre des dossards, vont prendre le départ et remplir le contrat.

C’est à mon tour de me positionner sur la ligne de départ.

Si AL et F ont pu se rendre sur le terrain et découvrir l’ordre et la disposition des difficultés, pour moi, c’est la découverte… Alors, attention aux ordres transmis. A moi de jouer…

Le départ est donné et je prends le trot. Inutile de galoper puisque, déjà, il me faut tourner, passer des portes, contourner des arbres. Puis arrivent les piquets et bouchons de couleur que F devra repositionner en bonne place. Je reste au trot pour me diriger vers le n° 3 et, là, AL me demande le pas… normal, il s’agit de franchir la passerelle. Mais, tout de suite, il faut répondre à son ordre : le galop pour affronter et grimper le plan ascendant. On repasse au trot car il y a un fameux virage à droite. Puis vient la Cloche, qu’il faut toucher et faire tinter. Ensuite, c’est le L qui nous attend, suivi de l’Immobilité (10 secondes sans bouger… pas toujours facile quand on vient de galoper…). On se lance alors vers une autre partie de terrain où vont se succéder la Forêt de Sapins (un slalom), le Trèfle à 3 feuilles (contourner 3 tonneaux dans un ordre précis), le Demi-tour à une main (les guides dans une seule main), le U. Retour sur le terrain principal où je vais affronter les 2 portes décalées (s’agit pas de faire tomber une balle), le départ en descente (5 secondes d’arrêt, terrain en pente, et départ au pas, en douceur…). Et là, je sens une certaine tension, non pas dans les guides, mais… comment vous dire ?…  le prochain obstacle se présente et, alors, je comprends… ce que AL va me demander, je ne sais pas le faire… reculer… c’est que je ne suis pas seule à faire la manœuvre… souvenez-vous, j’ai une voiture derrière moi… et il faut reculer à deux… non, c’est au-dessus de mes forces… non, non… n’insistez pas… Merci AL de si bien me comprendre et d’enchaîner bien vite avec la difficulté suivante…. Bien vite, c’est beaucoup dire puisque nous la ferons au pas, c’est du gué dont il s’agit. Le pas est obligatoire. Quant à moi, je m’arrêterai bien un peu, histoire de me rafraichir car, comme vous pouvez vous en douter, le soleil commence à chauffer et j‘ai pas mal galopé…Mais, à la voix d’AL, je comprends qu’il n’est pas question de boire pour le moment, le devoir m’appelle… Sortie un peu glissante, faut donc assurer. Et là, nouvel ordre… galop !  pour franchir les bordures maraîchères et atteindre la ligne d’arrivée que je passe avec brio. Voilà ! contrat rempli pour moi. J’ai fini pour aujourd’hui, à moi le picotin et le repos…

A nouveau, on me détèle, on me déshabille, on me bouchonne et j’ai même droit à une petite douche sur les jambes…  bien agréable, je l’avoue…

Et c’est de nouveau le dos au soleil que je vais déguster foin et granulés, sans oublier le seau d’eau posé à côté.

Au fur et à mesure du passage des concurrents (16 attelages étaient réunis aujourd’hui), les points sont encodés, à la suite des calculs de ce matin.

La proclamation des résultats ne devrait pas tarder.

Ca y est !

Le Président rassemble les troupes.

Je tends l’oreille… je suis concernée… c’est un peu moi qui ai fait le plus gros du boulot…

5ème au classement général, 3ème de ma catégorie, avec un total de 429 sur 500. Très beau résultat. On aura droit à quelques lots : casquette, tee-shirt, pack de bière.

On s’attarde un peu sur le détail des points et on grogne sur ceux « bêtement » perdus pour mauvais chemin…  mais bon… on fera mieux une prochaine fois.

Retour au camion. On rassemble le matériel, on range voiture et harnais, et c’est à mon tour d’y monter, après avoir enfilé mes protections. La route pourrait être longue, le beau temps ayant fait sortir du monde, sans doute bien des voitures sur les routes. Mais, nous avons le temps. Prudence avant tout.

Tout est embarqué, on peut démarrer.

Le camion s’ébranle et déjà je me cale sur mes 4 pieds, avec, devant moi, un filet à foin bien rempli. Pas de précipitation… faut déguster… je l’ai bien mérité…

Je m’assoupis un peu… aucune idée du temps écoulé…

Déjà, le camion s’immobilise et on bascule le ponton.

Serions-nous arrivés ? Il semblerait.

AL me détache et me fait descendre. Protections enlevées, je peux m’ébrouer un peu avant de rentrer, fièrement, dans mon box.

Oui, fièrement…

Et c’est là que je les reconnais, mes propriétaires… paille fraîche, foin, eau m’attendent, leur façon à eux de me dire Merci…

Je rentre chez moi, je me retourne et leur lance un long hennissement, un cri joyeux, ma façon à moi de leur dire Merci…

Je vais maintenant dormir tranquille, satisfaite du travail accompli.

Ils vont aller se coucher, peut-être refaire, en rêve, le trajet…

Et demain est un autre jour…

Qui est le plus heureux de nous ?…. Tous… chacun à sa façon…

Chacun avait un rôle à jouer.

C’est une équipe qui prenait le départ.

Un pour tous, tous pour un…

C’est quand le prochain concours ?… on s’y amuse tellement…

 

Publié dans Auteurs invités

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R
Voilà une seconde lecture agréable.J'ai pensé à toi lors de la manisfestation et du concours d'attelages de Mouscron.Y étais-tu?
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