TROIS JOURS DE PLUIE
Trois jours de pluie non stop.
Allongé sur le canapé usé, cigarettes sur cigarettes. Sans même plus l'envie de vivre. Ou seulement par images interposées. Zappées. De la télé à ma tête. Et je zappe, zappe. Sauts de puce dans ma mémoire. Où est le réel ? Dans la ville détrempée. Sur l'écran coloré. Dans ma tête folle.
Un petit garçon court dans de vastes prairies trop vertes, trop fleuries. Genre photo surexposée. Floue sur les contours.
Un couple enlacé sous un parapluie noir longe les façades. S’abrite sous un porche. Repart.
Pub de déodorant, une blonde sort de sa douche et s'asperge d'un spray aux senteurs de sous-bois. D’un lit de feuilles rousses, des oiseaux s’envolent.
Le petit garçon s'essouffle et se laisse tomber dans l'herbe, au bord de la rivière. Ses yeux sont trop bleus.
Le couple s'est arrêté un instant devant la vitrine d'un libraire. Des îles paradisiaques aux brousses africaines, l’homme et la femme voyagent, de livres en guides.
La fille au déodorant, tourne sur elle-même, aérienne et sa robe remonte en corolle. Ses jambes n’en finissent plus.
Le gamin ferme les yeux, revoit, obsédante, l'image de sa voisine, une brunette maigre, qui tourne, tourne, offrant aux yeux exorbités du garçon des mystères troublants.
Le spray inonde les dessous de bras épilés de la fille qui baisse les yeux, gênée par ces regards fouineurs qu’elle devine, les bras s'enroulant sur son buste nu.
Le couple s'est engouffré dans un couloir sombre et grimpe quatre à quatre un escalier craquant.
Moi, j'allume une cigarette. Tiendrai-je encore longtemps ? Pas sûr. Faudrait juste un rayon de soleil.
La fille de la pub s'est laissée tomber sur le canapé usé, près de moi. Toute en sueur. La chaleur des spots. Le petit garçon la dévore des yeux. Et le couple les ignore, enlacé, siamois. La petite voisine tourne toujours en toupie dans un coin du living, face à la télé dont l'image m'échappe. La fille a passé son déodorant au gamin qui asperge le couple. Pas de réaction. Les lèvres collées, les corps aussi, de plus en plus. La petite fille s'est arrêtée de tourner. Essoufflée. Elle s'avance vers le canapé. Je me lève pour lui céder la place. Elle refuse de s'asseoir, se dirige vers moi. La fille de la pub aussi. La siamoise s'est arrachée de sa moitié, elle rajuste son chemisier, se lève, s'avance aussi. Je recule dos au mur. Elles sont maintenant toutes les trois ventousées à moi. L'homme, écoeuré, a quitté la pièce. L'enfant pleure. Moi, j'ai envie de rire. Je serre les trois corps contre moi. Mais mes bras se referment sur le vide. Personne. Plus personne. Même pas l'enfant. L'image de la télé est devenue neige. Je zappe. Plus de programme. Le vide.
Je me couche sur le canapé.
Dehors, il pleut depuis trois jours.
E.J.B.