Moments Suspendus (1) - El Que Come Abajo

Publié le par Ernest J. Brooms

Temps Premier : Distorsion

 


La ruelle. Cette ruelle que TipTop connait si bien. Il y a passé presque les trois quart de son temps libre ces derniers mois.
Avant l'école, après l'école, et parfois pendant l'école. Cette fois ci, il n' y a pas cours. C'est un samedi après midi d'hiver.
Le soleil brille, mais le vent est glacial, coupant les doigts de TipTop qui est en train de rouler un joint en attendant Tom, son ami.
La matinée n'a pas commencé sous les meilleures auspices. Tout a débuté par un réveil angoissé, comme d'habitude ces dernières semaines.
La mère de TipTop a un cancer. Elle a déja passé beaucoup de temps à l'hôpital, passant de médecin en médecin comme un vulgaire cobaye.
Elle est revenue à la maison et Tiptop croyait que c'était bon signe, un signe de rétablissement. Jusqu'à ce matin. La visite chez le docteur pour prendre une ordonnance. L'interminable attente dans la petite salle, coinçé entre une dame âgée qui a un rhume, et un gamin qui pleure et que sa mère n'arrive pas à calmer. TipTop a les yeux fixés sur la pendule qui égrène les secondes à la vitesse d'un escargot mourant.
C'est son tour, enfin. TipTop rentre dans le cabinet et le docteur est déja en train de rédiger l'ordonnance. S'en suit une discussion presque banale :

 

- Bonjour TipTop, comment va ta mère aujourd'hui ?

 

- Comme d'habitude, Docteur. Elle se plaint de douleurs aux jambes, au dos et elle a de moins en moins de facilité à trouver le sommeil.

 

- Mmmh... Je vois. Quel âge as-tu, mon garçon ?

 

- 20 ans, Docteur.

 

- Bien. Bien, bien, bien... songe-t-il en signant le papier. Ecoute, je pense que tu es en âge d'affronter ce que je vais te dire. Ta mère n'en a plus pour très longtemps, TipTop. Il va falloir être fort. Tiens, amène ça à la pharmacie."

 

TipTop ne dit rien. Il se contente de prendre l'ordonnance et de sortir, sans dire un mot. Le monde a changé. Ce n'est plus le même qu'il y a une une heure.
Il marche, tête baissée, sous le choc. Tourbillon. D'émotions, de sentiments qui se déforment encore et encore dans sa tête. Envie de fumer un peu de came pour soulager la douleur qui commence à absorber le mensonge dans lequel il s'est enfermé, à savoir que tout va mieux, que tout va recommencer. Il entre dans la pharmacie. Les regards désolés se posent sur lui. Echange de formalités polies, puis retour à la maison.
Sa mère attend en gémisssant. C'est le mal. Son père, qui revient du bar,saoûl, fait ce qu'il peut pour cacher ses larmes. il est au chevet de la mère de TipTop, assis sur un coin du lit, puis se lève pour aller préparer le repas de midi. Pas un mot. TipTop s'approche. Sa mère, l'ayant entendu rentrer, grimace un sourire.
Du coup TipTop en esquisse un, lui aussi. Ne pas craquer. Pas maintenant... C'est trop dur.

 

" Tu veux que je te prépare tes médicaments, maman ? dit-il d'une voix qui tremble.

 

- Oui, s'il te plaît, mon chéri." Son visage est gonflé par les traitements et la douleur.

 

TipTop va dans la cuisine, prépare les cachets et les patchs de morphine. Son père fait des pâtes. Tout est triste dans l'appartement. Plus de rires, ni d'invités, plus de vie. Une veillée funèbre avant l'heure en quelque sorte. La lumière blafarde qui sort du néon de la cuisine renforce encore tout le morbide de la situation. Il revient dans la chambre. Sa mère a enlevé le drap qui recouvre ses jambes. TipTop entend une voix dans son crâne qui le supplie de ne pas regarder. Mais il voit. Les jambes de sa mère sont aussi épaisses que des bras d'enfant. Il lui tend le verre rempli d'une poudre blanche, et l'aide à le boire en la soutenant. Sa mère ne boit qu'une partie du breuvage, l'effort est insoutenable pour elle. Il dépose les patchs sur la table de nuit et espère que l'infirmier ne va pas tarder. Le fardeau est lourd. C'est maintenant qu'il en prend conscience. Son père lui dit de venir manger. Pas faim. Engueulade. Envoie chier son père, et décide de s'envoyer chier lui même après. S'enferme dans sa chambre. 12h42, l'heure du premier pétard, et chargé de préférence. TipTop sort le produit, les feuilles, et se met au travail. Première bouffée, deuxième... Le joint lui donne sommeil. Usé par la nouvelle du matin, il décide de s'allonger sur son lit. Et s'endort. 14h28. Le portable sonne. Second réveil de la journée, aussi pourri que le premier. C'est son pote Tom.

 

- Hey TipTop, comment ça va ?

 

- Bof. On peut se voir cet après-midi ?

 

- Oui, bien sûr. Ou ça ?

 

- Ben... rendez-vous à la ruelle... dans une heure, ça te va ?

 

- Ok. Dis moi, tu es sûr que ça va ?

 

- Je t'expliquerai tout à l'heure. A plus, Tom."

 


Il sort du lit, enfile un pull, prends ses clefs sur le bureau et va dans le salon prévenir son père. Peine perdue. Son père est en train de cuver sur le canapé. TipTop aimerait arriver à lui en vouloir, mais il ne peut pas. Ce n'est pas cet homme le coupable. Ce n'est personne, en vérité. Il retourne dans la chambre de ses parents vérifier que sa mère se repose. C'est le cas. Rare moment de répit. Dans la salle de bain, en se préparant, TipTop cherche une raison de continuer à espérer mais n'en trouve aucune. L'eau coule du robinet sans s'arrêter pendant qu'il se regarde. Les secondes passent, s'étirent sans fin. Il ferme le robinet et retourne dans la cuisine. Son père n'a pas touché au repas. Il prend une fourchette et avale deux ou trois spaghettis froids. Ils sont froids, mais pas autant que le gel qui étreint son coeur. Tant pis, on mangera mieux ce soir, se dit-il. Avant de partir rejoindre Tom, il part dans sa chambre et écoute un peu de musique.


L'infirmier n'est pas passé. Passera ce soir. Faudra être la pour l'accueillir au cas où Papa... Au cas où Papa aurait décidé d'arrêter de souffrir lui aussi, comme tous les jours depuis environ trois mois. TipTop passe la porte de chez lui et croise des gens dans la rue. Certains sont au courant de la situation et lui demandent des nouvelles au passage. Il les fusille du regard. Ne savait même pas qu' il était capable d'un regard aussi dur. Mais répond. Du mieux qu'il puisse faire. Gentil petit garçon bien élevé. Alors que tout ce dont il rêve, c'est de les rouer de coups. Comme ça, sans raison. Gratuitement. Ca n'est jamais autant effrayant que lorsqu'il n'y a pas de raison. Comme la maladie de sa mère. C'est arrivé, c'est comme ça. Le chemin continue et TipTop décide de prendre une bière dans une alimentation. Le rituel a commencé, la douleur diminue. Il arrive à la ruelle, s'y engouffre en même temps que le vent, et s'assoit sur des marches d'escaliers. " Il fait beau quand même... " songe-t-il alors qu'il contemple le ciel clair en sirotant sa bière. Tiptop comprend que c'est l'occasion de rouler un autre joint. Histoire d'attendre Tom, qui ne devrait plus tarder à arriver.

 

Effectivement, au moment ou il allume son spliff, Tom débarque.

 

- Yo Tiptop, alors comment ça va, mon pote ?

 

- Mal...

 

- Qu'est-ce qui se passe ? T'as encore foiré ton coup avec Suzie, c'est ca ? Mec, je t'ai dit l'autre fois que pour lui plaire, tu...

 

- Non Tom, c'est pas Suzie. Rien à foutre d'elle."

 

Arrêt dans la discussion. Tiptop ravale ses larmes.

 

" C'est ma mère, Tom. Elle sera pas là pour mes 21 ans." Le visage d'habitude enjoué de Tom se fait grave.

 

" Elle retourne en clinique ?"

 

Tiptop tire une bouffée sur le joint et baisse la tête.

 

" Non mec , c'est pas ça.

 

 - Alors c'est quoi ? Merde, dis moi !

 

 - Elle va mourir... Tu comprends ? Ma mère va mourir...C'est pour dans pas longtemps."

 

Quand Tiptop se relève, Tom voit les larmes couler. Et prend Tiptop dans ses bras.

 

" Allez, viens. On bouge. On reste pas ici."

 

Les deux amis sortent de la ruelle, rejoignent un boulevard et commençent à parler. Tiptop raconte les pensées qui lui traversent l'esprit et Tom essaye de trouver des arguments pour lui remonter le moral. Mais au fond Tiptop n'en à rien à faire. La bière et la drogue font leur effet. Le monde n'est plus que ténèbres environnantes. les gens sont là, marchent mais passent à travers Tiptop comme des fantômes.
Tom propose à Tiptop d'aller chez lui. Ce qu'ils finissent par faire. Le reste de la journée est fait de fumée, d'alcool, et de larmes. Pour terminer à la plage avec quelques amis qui ont appris pour la mère de Tiptop et qui sont venus. La bande est réunie autour de lui. Posé sur un rocher, face aux vagues, il vide une énième biére et fume encore. La limite du " joint de trop " est dépassée depuis longtemps... Les discussions se font lointaines.
Tiptop a envie de rentrer à la maison. Il est fatigué. Tom le ramène, lui souhaite bon courage et lui dit de faire attention à lui. Peu importe. Il monte les étages, ouvre la serrure, et traçe directement dans sa chambre. Aucun bruit. Tant mieux. Car réveil egale conscience, etc.

 


Les semaines passent. Une nuit, son père le réveille. Il faut appeller les pompiers. Sa mère a des spasmes violents, la morphine ne fait plus effet. Plus aucune dose ne marche.Les pompiers arrivent. Emmènent la mère de Tiptop aux urgences. Dormira pas cette nuit. Encore. Lendemain matin, reprise des cours. Pas envie. Décide de stopper l'école pendant un certain temps. Son père est ok avec l'idée. Une semaine , pas plus. D'accord. Quand Tiptop reprend les cours, une semaine après, le téléphone sonne. L'hôpital. C'est fini. 5h30 du matin. Dieu ou n'importe quel enfoiré a rapellé sa mère à ses côtés. Cimetière,enterrement. Famille qui fait des reproches à Tiptop et son père. Envie de tuer. Mais pas la folie qui va avec. La réalité est difficile. Quand au lyçée, Tiptop n'y pense plus. Il revient en cours. Tout le monde sait. Tout le monde est bienveillant. Mais que pense Tiptop ? Qu'ils imaginent sans savoir réellement. Il s'affale sur la chaise de son bureau. Exam. Pas révisé. Trop déchiré la veille,l'avant-veille, et tous les jours précédents... Pas le temps de penser à ça. 10h30. Pause. Tiptop sort du lyçée. Se dit qu'il n'y reviendra plus.Les études,c'est terminé.

 

Retour chez lui. Tiptop rentre et s'assoit sur le canapé. Papa n'est pas là. Envisage de téléphoner à Suzie. Elle ne répond pas. Pas grave. Tiptop sort son shit et se roule un joint. Le téléphone sonne. C'est Suzie :

 

" Allo, Tiptop?

 

- Oui Suzie ?

 

- Je voulais savoir comment s'était passée ta rentrée, dit-elle, un peu gênée.

 

- Pas trop mal. J'ai arrété ce matin...

 

- Ce matin ? Mais pourquoi ? Qu'est-ce qui s'est passé ?

 

- Ecoute Suzie, j'ai pas vraiment envie d'en parler,ok ?

 

- Tiptop... Matt... Avec ce que tu as vécu dernièrement, je peux comprendre que tu n'ai pas forçément envie de te confier, mais sache que si tu as besoin...

 

- Ciao Suzie ".

 

Fin de la conversation. Marre de la pitié des gens. Marre de tout. Tiptop va dans la chambre. S'allonge sur son lit. Cogite,réfléchis. Somnole puis dort.
Réveil en fin de journée. Son père n'est toujours pas rentré. Dommage, il avait des choses importantes à lui annoncer. Tiptop pense à manger puis renonce.

Décide de sortir boire un coup. Demain, il fera jour. Peut-être.

 

 

 

 

 

" If Only We could Sleep Tonight " de The Cure résonne faiblement entre les murs. Il ne faut pas réveiller Maman. Réveil égale conscience et conscience égale souffrance. Automatisme récurrent et d'une logique implacable. Ecoute encore deux ou trois chansons puis décide d'aller rejoindre Tom. Il fait toujours froid dehors.

Publié dans Auteurs invités

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F
un texte poignant, je vais lire la suitebig bisous
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E
Le cancer, c'est mon signe. C'est même ce qui a "freiné" mon blog ces derniers mois. Texte qui me touche évidemment beaucoup. J'aime le ton, les phrases sans sujet, le vocabulaire adapté à l'âge des personnages, l'ambiance, c'est du El Que Come Abajo pur jus !Bravo !
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